Actuellement, l’Agence centrale de recherches (ACR) et le Réseau des liens familiaux de la Croix-Rouge et du Croissant-Rouge traitent environ 200 000 demandes de recherches ouvertes à travers le monde. Ce sont donc 200 000 personnes portées disparues à la suite d’un conflit armé, d’autres situations de violence, de catastrophes naturelles ou de migration. Pour chacune de ces personnes, une famille et une communauté sont en attente de réponses.
Notre implication dans la recherche d’une personne disparue résulte habituellement d’une demande formulée par les proches auprès du Réseau des liens familiaux de la Croix-Rouge et du Croissant-Rouge. La demande lance le processus ; nous commençons par collecter les informations de base dont nous avons besoin pour rechercher la personne disparue – son identité, les circonstances de sa disparition, les endroits où elle pourrait se trouver, etc. Nous utilisons ensuite ces « indices » pour initier la procédure de recherche.
Dans de nombreux cas, les familles ont épuisé toutes les pistes possibles et ont besoin d’aide pour poursuivre la recherche de leurs proches. Grâce à la vaste couverture géographique du Réseau des liens familiaux, à notre longue expertise en la matière, à notre accès unique à des lieux où d’autres organisations ne sont pas présentes, et à notre dialogue privilégié avec les États, les groupes armés non étatiques et d’autres parties prenantes, nous avons pu élucider le sort de milliers de personnes disparues et apporter des réponses à leur famille.
Généralement, les personnes les plus difficiles à localiser sont celles qui disparaissent par-delà des frontières. Dans ce type de situation, on ne peut négliger aucun indice. Alors les membres d’une famille perdent le contact les uns avec les autres, ces derniers peuvent approcher différentes délégations du CICR ou Sociétés nationales de la Croix-Rouge et du Croissant-Rouge, ou même d’autres organisations et entités. Il est donc difficile pour nos équipes d’établir des liens: les personnes en charge des dossiers n’ont accès qu’à un nombre limité de bases de données et doivent constamment recouper les informations avec des collègues d’autres délégations du CICR ou des Sociétés nationales pour détecter d’éventuelles correspondances. Chaque base de données est susceptible de contenir un indice permettant de localiser la personne disparue. Comment pouvons-nous alors accéder à l’ensemble des informations tout en maintenant la sécurité des données et en respectant les lois et normes en matière de protection des données ?
Cette année, pour aider à résoudre davantage de cas, l’ACR a lancé une nouvelle technologie numérique appelée Missing Persons Digital Matching (MPDM). Ce puissant moteur de recherche recourt à l’intelligence artificielle, la reconnaissance faciale et des algorithmes avancés pour recouper les informations et détecter des correspondances entre différentes sources de données non connectées. MPDM est capable d’accéder à de nombreuses sources de données internes et externes, y compris celles situées dans d’autres sites géographiques ou appartenant à d’autres organisations (telles que les bases de données des délégations du CICR, mais aussi du HCR, de l’OIM, MSF, etc.). Cela permet aux personnes en charge des dossiers d’élargir la portée de leurs recherches et d’accroitre les chances de trouver des correspondances éventuelles. MPDM automatise certaines parties du laborieux processus de comparaison des données en permettant de les recouper et de détecter des correspondances, ce qui était impossible auparavant.
Le propriétaire de chaque base de données conserve le contrôle de ses données et décide dans quelle mesure il souhaite transmettre à une autre partie des informations relatives à des « correspondances ». Les possibilités de collaboration sont passionnantes et nous avons déjà quelques exemples de réussite.
En collaborant étroitement avec le Bureau de la protection des données du CICR, les développeurs ont pu mettre au point un outil garantissant la protection des données des personnes concernées et la conformité aux règles de protection des données. Florence Anselmo, cheffe de l’ACR : « Le partage des données avec différentes parties prenantes est toujours un défi en matière de protection des données. Les données sont souvent très sensibles et nous ne pouvons pas les partager de manière indiscriminée. Avec MPDM, nous sommes en mesure de comparer les données sans les partager. Ainsi, nous protégeons les données des personnes tout en garantissant le respect strict de nos règles, règlements et principes en matière de protection des données, ainsi que ceux d’autres organisations. »
La délégation du CICR en Égypte a été la première à utiliser ce nouvel outil pour rechercher une personne disparue dont on soupçonnait qu’elle se trouvait en Libye. Pourtant, l’équipe a obtenu une correspondance avec une personne dont les informations étaient enregistrées dans une base de données en Tunisie – une source qu’elle n’aurait peut-être jamais consultée sans MPDM. Suite à cet indice capital, l’équipe a découvert que la personne disparue avait traversé l’Italie en toute sécurité. Bien que l’équipe ne l’ait pas encore localisée, il s’agit d’une étape prometteuse dans sa recherche. La délégation égyptienne traite de très nombreux cas de migrants portés disparus et dispose souvent d’informations limitées pour orienter ses investigations. MPDM apporte une lueur d’espoir à la délégation en l’aidant à rechercher de manière simultanée dans plusieurs bases de données des informations sur les personnes portées disparues, ce qui accroît la probabilité de les localiser.
La délégation du CICR en Égypte a également intégré d’autres ressources technologiques dans ses activités quotidiennes afin de compléter les informations déjà disponibles et de traiter un nombre croissant de cas de disparitions non résolus. Après avoir mené une analyse approfondie de ses dossiers pour mieux comprendre l’origine du problème, la délégation s’est rapidement rendu compte que lorsque ses équipes rencontrent les familles pour ouvrir des dossiers de disparition, elles ne recueillent pas suffisamment d’informations quant au lieu où la personne disparue aurait dû se trouver – ce qui est souvent le premier indice sur le sort d’un individu et le lieu où il se trouve. Désormais, lorsqu’elles collectent des informations auprès de la famille, les équipes utilisent des cartes et des images satellites pour identifier des lieux de manière précise, parfois même la maison exacte. Ceci a produit des résultats positifs puisque des pistes supplémentaires ont pu être établies, et davantage de cas ont été résolus.
De plus, la délégation implique désormais les familles des personnes disparues en tant que partenaires de la procédure de recherche. Ensemble, elles réfléchissent aux personnes, groupes, associations ou communautés susceptibles de détenir des renseignements utiles sur le lieu où la personne disparue pourrait se trouver, sur les itinéraires qu’elle aurait pu emprunter ou les endroits qu’elle aurait pu traverser. Les informations collectées à la suite de ces démarches facilitent l’identification d’autres sources d’informations. L’équipe du CICR et les familles de personnes portées disparues déterminent ensuite conjointement les prochaines étapes.
Ces divers moyens simples d’améliorer la collecte et la qualité des données se sont avérés extrêmement efficaces. La délégation égyptienne résout désormais quatre fois plus de cas de disparition que par le passé. Cela signifie qu’elle est en mesure de fournir des réponses à plus de familles en quête de réponses sur le sort de leurs proches disparus et, parfois, d’organiser des appels téléphoniques voire des regroupements familiaux.
Dans la prochaine édition du bulletin de l’ACR, nous examinerons d’autres techniques et outils de recherche qui sont testés dans le cadre du conflit en Ukraine et dans d’autres contextes.