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Migrants disparus sur la route de la Méditerranée : des initiatives multidisciplinaires pour faire face à une tragédie humanitaire

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Depuis début 2023, plus de 2 300 personnes ont été enregistrées comme décédées ou disparues en Méditerranée.

 

26 Nov 2023
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Le Réseau des liens familiaux — constitué des 192 Sociétés nationales de la Croix-Rouge et du Croissant-Rouge et coordonné par l’Agence centrale de recherches du CICR à Genève et les délégations dans le monde entier — permet de rétablir les liens entre les membres séparés des familles, d’apporter un soutien aux services forensiques et de trouver des personnes disparues le long de leur itinéraire. Son travail a été mis en lumière à la suite du récent naufrage d’un bateau de pêche qui transportait des migrants, ainsi que dans le cadre de la mission qu’il effectue à bord de l’Ocean Viking.

 

En juin 2023, un bateau de pêche transportant environ 700 migrants a chaviré dans les eaux internationales au large de Pylos, dans le Péloponnèse, en Grèce. L’ampleur de cette tragédie a choqué le monde entier : 104 personnes ont été secourues et 82 corps ont été retrouvés, mais des centaines de personnes sont toujours portées disparues et il y a tout lieu de penser qu’elles sont décédées. Parmi celles-ci, beaucoup sont des femmes et des enfants qui ont été piégés dans la coque du bateau. Sous les regards horrifiés de tous, la Croix-Rouge hellénique et le CICR ont immédiatement envoyé leurs équipes en soutien aux survivants et aux autorités grecques pour que les familles puissent avoir des nouvelles et contacter leurs proches.

Deux sections locales de la Croix-Rouge hellénique ont été envoyées sur le site d’accueil où les survivants ont été transférés après avoir été secourus. Dès le début, le CICR a entretenu des contacts étroits avec la Division de recherches et de rétablissement des liens familiaux (RLF) de la Croix-Rouge hellénique. Sebastian Bustos, coordinateur des activités de protection du CICR à Athènes, a expliqué : « En 24 heures, une petite équipe de RLF était envoyée sur place, depuis Athènes, pour offrir ses services indispensables aux survivants - y compris aux personnes hospitalisées. Ceux-ci ont ainsi pu annoncer à leurs familles, par téléphone ou sur les réseaux sociaux, qu’ils étaient en vie et en bonne santé. En parallèle, nous avons rapidement fourni des informations au Réseau des liens familiaux pour qu’il puisse conseiller et soutenir adéquatement les familles qui les contactaient pour en savoir plus sur le naufrage ».

Dans le même temps, le CICR a rapidement contacté les autorités grecques, à savoir, l’Unité d’identification des victimes de catastrophes, l’Unité des personnes portées disparues, les garde-côtes helléniques et les services médico-légaux et forensiques, afin d’offrir son aide dans le processus d’identification des personnes décédées. « Pour la première fois en Grèce, le protocole national d’identification des victimes de catastrophes a été mis en œuvre dans le cadre d’un accident fatal de masse lié à une migration, comme nous le recommandons depuis longtemps en Europe », indique Antonietta Lanzarone, spécialiste en médecine légale au CICR. « Cela signifie que des procédures normalisées, reconnues internationalement, ont été suivies à la fois pour récupérer les corps, procéder aux examens forensiques et identifier les morts, et pour alimenter le processus visant à constituer une liste complète des personnes portées disparues et à recueillir des informations à leur sujet ».

Notre soutien a également consisté à expliquer clairement le protocole d’identification des victimes de catastrophes aux survivants qui se trouvaient en Grèce. En coordination avec nos délégations dans d’autres pays, nous avons contribué à la conclusion d’accords entre les autorités locales et la Grèce concernant la transmission d’informations cruciales sur les personnes disparues (notamment les profils ADN des familles) aux autorités grecques. Dans les cas où il n’a pas été possible de conclure ces accords, les familles ont été encouragées à se rendre au bureau de la Croix-Rouge ou du Croissant-Rouge de leur pays le plus proche pour que nous puissions directement assurer le suivi avec l’Unité d’identification des victimes de catastrophes en leur nom. Nous avons également fait en sorte que les familles syriennes utilisent le protocole d’Interpol pour transférer à Athènes les données sur les personnes disparues, notamment les profils ADN des familles (aux frais de notre délégation), à des fins d’identification médico-légale.

Il est par essence difficile d’identifier les migrants décédés lorsque leur famille est si éloignée, mais la coopération entre les autorités a permis de simplifier le processus. Les autorités grecques ont tout de suite mis en place une ligne téléphonique d’urgence pour faciliter la communication avec les familles touchées. D’autres pays, tels que le Pakistan, ont mis en place leur propre ligne pour aider leurs ressortissants dans la recherche de leurs proches disparus. À ce jour, plus de la moitié des corps retrouvés ont été identifiés, principalement à partir d’empreintes digitales. Les cas les plus difficiles devraient bientôt être résolus grâce à l’utilisation de l’ADN. Le taux de réussite et la rapidité des identifications sont exceptionnellement élevés par rapport à d’autres catastrophes migratoires. La réponse rapide des autorités et la coordination efficace avec les autres pays ont joué un rôle déterminant.

Tous les ans, des milliers de personnes tentent de traverser la Méditerranée dans l’espoir de se mettre en sécurité et de repartir à zéro, seules ou avec leur famille. Pour ce faire, elles sont souvent contraintes d’emprunter des itinéraires très dangereux où elles risquent leur vie et sont séparées de leurs proches. Les naufrages sont fréquents. Depuis 2014, plus de 28 000 personnes sont décédées ou ont été portées disparues alors qu’elles tentaient la traversée vers l’Europe. Et à ce jour, en 2023, plus de 2 300 personnes ont déjà été enregistrées comme disparues ou décédées en Méditerranée. Ces chiffres, tirés du Projet Migrants disparus de l’Organisation internationale pour les migrations, ne portent que sur des incidents vérifiés. Les chiffres réels sont sans doute bien plus élevés. Selon le rapport de 2022 du CICR intitulé Counting the Dead, les corps de seulement 13 % des migrants qui se noient durant la traversée sont retrouvés.

La Grèce n’est pas la seule destination des migrants qui traversent la Méditerranée. Depuis juin 2023, la Croix-Rouge italienne gère un point d’enregistrement (hotspot), ou centre de crise désigné, à Lampedusa afin de fournir une assistance sur place aux migrants qui réussissent à arriver jusque-là sans encombre, ainsi qu’aux survivants de naufrages. Après avoir reçu les services et soins médicaux essentiels dans le centre de crise, les migrants rencontrent les équipes de RLF de la Croix-Rouge italienne pour passer des appels et écrire et envoyer de courts messages à leurs familles pour les rassurer. Les messages recueillis par la Croix-Rouge italienne sont transmis par l’intermédiaire du Réseau des liens familiaux à la Société nationale ou à la délégation du CICR du pays d’origine du migrant. Les équipes de RLF recueillent également toute information que les survivants peuvent donner concernant les autres migrants rencontrés durant leur parcours. Cela peut fournir des indices précieux au Réseau des liens familiaux, qui pourrait déjà être à la recherche de ces personnes ou qui pourrait l’être à l’avenir.

Le Mouvement international de la Croix-Rouge et du Croissant-Rouge n’est pas seulement actif le long des côtes et sur les routes terrestres. Il est également présent à bord de l’Ocean Viking, un navire exploité par SOS Méditerranée en partenariat avec la Fédération internationale des Sociétés de la Croix-Rouge et du Croissant-Rouge (Fédération internationale) qui mène des activités de recherche et de sauvetage des migrants en Méditerranée centrale. Le réseau des liens familiaux, coordonné par l’Agence centrale de recherches, a lancé un projet à bord du navire qui permet aux migrants secourus de rassurer leurs familles restées au pays sur leur état de santé et de sécurité. Cette initiative remarquable réunit toutes les composantes du Mouvement et illustre à quel point ce réseau peut être puissant.

L’équipe de la Fédération internationale présente à bord de l’Ocean Viking récupère des messages appelés « Salamats » — d’un terme arabe signifiant « bonne santé » — auprès des survivants. Le processus est simple mais peut avoir un impact considérable. Les survivants fournissent les numéros de téléphone des membres de leur famille. Ces numéros sont envoyés au CICRà Belgrade, qui coordonne le processus et transmet les messages aux délégations du CICR ou aux Sociétés nationales des pays concernés. Le personnel en place contacte ensuite les familles, qui sont ainsi informées, dans leur propre langue ou dans une langue connue, que leurs proches sont en route vers un lieu sûr. Les réponses des familles sont ensuite renvoyées à l’équipe de la Fédération internationale qui se trouve à bord de l’Ocean Viking. Ces échanges constituent en soi une véritable bouée de sauvetage qui rassure à la fois les survivants et leurs familles.

Le délégué du CICR à Beyrouth, Zeyad Nayel, contacte les familles des survivants pour leur transmettre les Salamats. Il décrit le travail qu’il réalise dans le cadre de ce projet : « Nous expliquons d’abord en quoi consiste notre projet sur les Salamats, et le plus souvent, avant même que nous ayons envoyé le message, les familles nous demandent : “Est-ce qu’il ou elle est en vie ?”. Et quelques instants après avoir raccroché, nous recevons souvent un message d’un membre de la famille disant : “Je suis seul maintenant. Dites-moi la vérité. Est-il en vie ? Est-elle en vie ?” ».

Il poursuit : « Je me souviens d’une fois où nous avions du mal à contacter une personne. Après plusieurs appels sans réponse, nous lui avons envoyé un message sur Whatsapp pour lui dire que nous étions du CICR et que nous devions lui parler. Nous avons attendu jusqu’à ce que notre message soit marqué comme “lu” puis nous avons rappelé. Elle a répondu, angoissée et en larmes : “Je sais que c’est vous, je fais exprès de ne pas répondre. Je ne veux pas l’entendre. Je ne peux pas croire qu’il lui est arrivé quelque chose”. Après l’avoir calmée, nous lui avons expliqué le projet et transmis le Salamat. Elle a éclaté en sanglots de joie et nous a demandé de confirmer une fois de plus que son proche était sain et sauf : “Dites-moi la vérité. Passez-le-moi au téléphone”. Ce projet apporte un tel soulagement aux familles inquiètes ».

Durant leur trajet, de nombreuses raisons font que les migrants perdent le contact avec leur famille : ils perdent leur téléphone ou oublient les identifiants et les mots de passe de leurs réseaux sociaux ; ils perdent les coordonnées de leurs proches ; ou ils sont détenus ou sont séparés des autres membres de leur famille au niveau d’une frontière terrestre ou maritime. Lancée en 2013, la plateforme en ligne « Trace the Face » permet aux membres des familles de rétablir le contact avec leurs proches dont ils ont été séparés ou dont ils ont perdu la trace le long des routes migratoires. Les utilisateurs publient leurs photos sur le site et les proches peuvent facilement effectuer des recherches dans la galerie de photos en ligne. Lorsqu’un lien est trouvé, les délégations du CICR et les Sociétés nationales unissent leurs efforts pour mettre en contact les membres de la famille. Depuis sa création, Trace the Face s’est développé et a permis à des centaines de familles de se retrouver. Le mois dernier, les versions en dari, pashto et somali de la plateforme ont été publiées, ce qui la rend encore plus accessible. Et en fin d’année, ce service sera déployé à l’échelle mondiale, au bénéfice des familles des migrants disparus partout dans le monde.

L’an dernier, plus de 5 000 personnes ont publié leur photo sur Trace the Face et près de 300 personnes ont pu retrouver leur famille. L’histoire de Marzia est un bel exemple de réussite. Elle a fui l’Afghanistan avec sa famille mais dans le chaos du passage de l’Iran à la Turquie, elle a été séparée de son frère de 12 ans, Mustafa. Après six longues années sans aucune nouvelle, Marzia et ses sœurs ont contacté les bureaux du CICR à Kaboul. Grâce au site Web, elles ont trouvé une photo de leur frère et ont découvert qu’il était vivant et en bonne santé, et qu’il vivait dans le nord de l’Europe.

Les personnes qui empruntent les routes migratoires continuent de disparaître et leurs familles continuent de chercher des réponses, mais le Réseau des liens familiaux leur apporte toujours un soutien, à chaque étape du parcours.