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Des pistes pour soutenir les familles de personnes disparues dans les sociétés bouddhistes

Familles
Travail de mémoire / Aspects religieux

Simon Robins

26 Jan 2024
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Partout dans le monde, des personnes disparaissent lors de conflits armés, de migrations et de catastrophes naturelles. Cependant, le soutien apporté aux familles de personnes disparues reste fondé sur le droit international, les recherches universitaires et des décennies d’expérience accumulée, pour l’essentiel, dans des pays de culture occidentale. Dans un article publié récemment dans le Journal of Buddhist Ethics, Alex Wakefield expose de quelle manière certains rituels bouddhistes peuvent être mis à profit pour décoloniser la façon dont nous abordons les relations avec les proches de personnes disparues et pour les accompagner dans leur processus de deuil.

L’article commence par définir la perte ambiguë, une notion théorisée par la chercheuse Pauline Boss pour décrire l’impact d’une perte survenue dans des circonstances incertaines, par exemple la disparition d’un être cher. Incapables d’aller de l’avant, la plupart des familles se retrouvent isolées dans leur chagrin et ont du mal à faire comprendre ce qu’elles endurent.   

Né de la volonté d’atténuer les souffrances terrestres, le bouddhisme s’appuie sur des pratiques et des principes religieux et éthiques qui visent précisément à atteindre cet objectif. Il existe dans cette religion des rites funéraires bien établis mais ces prières et cérémonies ne peuvent pas être accomplies pour des personnes disparues, en raison de l’incertitude entourant leur sort. A. Wakefield cite ainsi un témoignage recueilli au Sri Lanka :


 

Mon frère a disparu il y a près de 27 ans. Nous participons à des activités religieuses et prions pour lui. Cependant, nous n’avons pas accompli de rites mortuaires et nous n’avons pas procédé au don de Panshukuula [sic] (offrande réalisée après un décès dans la tradition bouddhiste). Il est malsain d’effectuer ces rites si la personne est vivante… Nos oncles et les gens du village nous demandent d’offrir des aumônes aux prêtres bouddhistes et de louer ses mérites. Ni mes parents ni moi ne souhaitons le faire parce que nous croyons qu’il est encore en vie, quelque part.

Isuru, Bandumithra et Williams

Non seulement les familles de personnes disparues ne sont pas mesure de célébrer les rites qui leur permettraient de faire leur deuil, mais elles ne peuvent pas non plus s’acquitter des bonnes œuvres au nom des défunts (ce que l’on nomme dans la tradition bouddhiste le transfert des mérites) afin d’aider ceux-ci à renaître dans des conditions plus favorables.

Ces familles se trouvent malheureusement dans l’impossibilité de pouvoir confirmer le décès de leurs proches, or la plupart des sociétés ne disposent pas de mécanismes culturels pour les accompagner dans leur épreuve. L’article suggère que la reconnaissance explicite d’une perte par la communauté religieuse, moyennant des rites célébrés par des dignitaires bouddhistes, permet aux membres de la famille de valider leur vécu et les aide à reprendre le cours de leur existence. Bien que la tradition revête une importance immense dans les pratiques religieuses bouddhistes, A. Wakefield affirme que Bouddha lui-même préconisait d’adapter les rites religieux et culturels si cela pouvait contribuer à l’harmonie des communautés et à la réduction des souffrances.

L’élaboration de rituels religieux à la mémoire des personnes disparues permet aux proches et aux familles d’exprimer leur perte dans un langage culturellement et spirituellement adéquat, ce qui leur procure le sentiment d’être reconnus et compris. Plus généralement, ces rituels offrent aux communautés la possibilité d’accepter ensemble la perte qui les touche. Non seulement l’organisation d’une cérémonie en hommage à un fils porté disparu lors d’un conflit armé fournit un cadre pour extérioriser sa peine, mais elle représente aussi l’occasion d’attirer l’attention sur le conflit qui a conduit à sa disparition.

Afin de montrer comment des rituels religieux peuvent atténuer le traumatisme induit par la disparition d’un être cher, l’article cite l’exemple de cérémonies observées en Thaïlande. À la suite du tsunami de 2004, des proches de personnes disparues ont restauré la pratique consistant à célébrer des funérailles en l’absence de corps avec la bénédiction de la communauté monastique, un rituel jusque-là largement tombé dans l’oubli. Des moines ont été invités à participer à ces cérémonies en présence des proches, de voisins et d’amis. L’objectif était d’amener les disparus à réaliser qu’ils étaient morts et de les encourager à conduire leur famille jusqu’à leur corps, afin que celle-ci puisse procéder à sa crémation. Cette pratique rappelle des rites présents dans d’autres cultures, dans le cadre desquels l’esprit est invité à s’incarner dans un objet choisi pour remplacer un corps absent. A. Wakefield donne ainsi un exemple venu du Timor Leste, où des rites mêlent catholicisme et tradition animiste :

La cérémonie [consiste à remplacer] le corps du défunt par un autre objet, habituellement une pierre. La famille se rend sur le lieu présumé du décès et y ramasse une pierre, qu’elle place dans un récipient traditionnel en feuilles de palme tout en récitant des prières. Ce récipient est ensuite enveloppé dans un tissu traditionnellement utilisé au Timor pour confectionner des vêtements masculins ou féminins, selon ce qui est approprié pour la personne décédée. La famille le ramène ensuite chez elle pour une nuit puis procède à son inhumation dans un cercueil, comme s’il s’agissait du corps du défunt. La pierre s’imprègne ainsi de l’esprit du mort et lui permet de reposer en paix. Le reste de la cérémonie est semblable à des funérailles ordinaires, au cours desquelles des animaux sont abattus et un festin a lieu.

Robins

 

Au Népal, un rite traditionnel a été utilisé pour enterrer un mannequin figurant une jeune fille portée disparue au cours du conflit armé.

Le point de vue bouddhiste quant au rôle et à l’intérêt de tels rituels montre en quoi ils peuvent être d’un grand secours pour les familles de personnes disparues :

Le rituel, lorsqu’il s’appuie sur des bases morales et psychologiques, peut réellement contribuer à l’épanouissement spirituel et aider à surmonter les états d’esprits négatifs. Il opère une transformation, non seulement chez la personne qui le pratique, mais aussi sur les conditions sociales entourant la disparition.

Wakefield

Des rites religieux et séculaires ont également été créés pour honorer la vie de personnes disparues, même si leur famille espère encore leur retour.

En résumé, l’article met en avant les bienfaits des rituels religieux pour les familles de personnes disparues et recommande que cette forme de soutien leur soit apportée au sein des communautés bouddhistes. La célébration de telles cérémonies peut transformer la façon dont leur perte est perçue par la communauté. De plus, les rituels religieux permettent à ces familles de faire leur deuil grâce à des pratiques culturelles et spirituelles qu’elles connaissent et qui peuvent être mises en œuvre parallèlement aux systèmes de soutien séculaires.

 

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